Avis de Vané Fillubie
Nous sommes aux prémisses de l’inquisition, dans ce moyen-âge hésitant entre le royalisme pur et dur et une libéralisation progressive du monde, en plein milieu des jeux de cour et d’alliances entre monarque. Et nous suivons l’histoire vraie de Salomon, l’éléphant, cadeau du roi du Portugal João III à son cousin l’archiduc Maximilien d’Autriche. Ce prestigieux animal, avec son cornac Subhro seront les témoins privilégiés de l’hypocrisie de temps, à travers toute l’Europe. Car il ne suffit pas d’offrir un éléphant à l’archiduc, il faut pouvoir encore l’amener de Porto à Vienne, en passant patiemment par des multiples obstacles. Et avec les loups, les brigands et les divers jeux de pouvoir, ceci ne sera pas une mince affaire.
L’éléphant dans son voyage, est un élément d’incompréhension pour les multiples protagonistes, tantôt un sublime animal de par sa carrure, tantôt une laideur aux excréments immense, tantôt un exotisme rafraîchissant, tantôt une créature diabolique et possédée. Tous étant naturellement déstabilisé face à cet être d’un autre monde. Ce qui donnera au roman un ton drôle et léger très sympathique. Et cette société moyenâgeuse est montrée non enjolivé, avec l’inculture crasse des personnages et la crasse tout court dans laquelle ils vivent. Les acteurs principaux du récit devenant assez touchant, qui malgré leur peu de connaissances des sentiments humains, tentent néanmoins d’être au plus bon et au plus civilisé. Tout en restant très simple et passablement naïf face au monde.
Il faut encore toucher deux mots du style. Le point n’apparaît qu’avec parcimonie dans les pages de Saramago, étant donné que sa plume suit la pensée en mouvement des personnages, alternant les différents points de vue avec celui du narrateur. Narrateur que l’on pourrait qualifié d’omniscient amnésique, ayant connu un jour la totalité du récit, mais ayant oublié peu à peu certains éléments. Ce qui correspond bien à la posture que nous avons face à cette époque, où l’histoire que nous en connaissons nous est parvenu en bribes. Et l’écriture reprend les entournures et les salamalecs princiers, en montrant bien dans des exagérations ridicules toute l’ironie de l’auteur. Et cet avec un immense talent que ce livre nous est servi, au vu de la sophistication des personnages, des évènements et des discours qui font de ce livre qui a du être fort difficile à écrire, très plaisant et facile à lire. Vous aussi, soyez curieux, venez rendre visite à l’éléphant Salomon ! 8/10