lundi 19 septembre 2011

Le Rouge et le Noir - Stendhal - 1830


Avis de Vané Fillubie

Julien Sorel est un enfant des classes modestes, un fils de charpentier jurassien ; il est quelqu’un de peu, comme vous et moi. Mais il rêve de gloire, il se veut Napoléon, il veut conquérir Paris. Malheureusement, l’époque n’est plus aux grandes croisades révolutionnaires, nous sommes en pleine régénérescence ultramontaine, au retour des ducs et des archevêques, d’une société cloisonnée et rigide où l’ascension sociale est verrouillée. Julien Sorel est prêt à tout pour y arriver à son but, il devra donc devenir prêtre et feindre le moralisme, s’abandonner aux dames et feindre la passion, user de tout les calculs fourbes pour parvenir à ses fins.

Ce roman fait charnière ; son style très classique, aux longues phrases enluminées et alambiqués qui se tortillent allégrement autour de leur signification, s’oppose au fond très moderne, cynique, froid, calculateur, chacun cherchant à conserver mesquinement ses petits privilèges. Stendhal révélant fort bien, l’intérêt égoïste qui se cache derrière les actes d’apparence romantique des personnages. Cela reflète cette vaine régénérescence, où l’on veut remettre le roi, dieu et la morale au centre de la société, alors que plus personne n’y croit guère sincèrement. Nous obtenons donc une histoire à double entrée, avec un présent qui ne serait plus que la réunion du passé et du futur.

Mais la grandeur du bouquin se révèle sur la psychologie fine distillée, où il parvient à décrypter la pensée de chaque protagoniste sur un même acte différemment perçu. En ceci, il nous montre tout l’éloignement d’esprit, et l’incompréhension entre certains couples de héros qui se croient pourtant intimes et proches. De plus, certains sont tellement englués dans l’hypocrisie, qu’ils finissent par se persuader eux-mêmes de la bonté présumée de leurs actes. C’est donc une riche description des multiples tunnels de conscience dans lesquels s’engouffrent les personnages que nous offrent l’auteur. Et ce qui semble parfois être des communications profondes, ne sont que des effleurements des parois dédits tunnels, ou vice-versa.

Hélas, tout à ses défauts, et il ne serait guère honnête de les dissimuler sous prétexte de préserver l’honneur d’un classique, surtout les plus illustres. L’histoire semble parfois bégayer, répétant certaines intrigues quasi identiquement, sans faire avancer réellement le synopsis. Ainsi que certains moments forts du récit, trop à brûle-pourpoint, paraissent totalement capillo-tractés, invraisemblables et aux causes incertaines. Ils tombent du ciel à point nommé pour sortir l’auteur de l’impasse. A force d’avoir romancé autour de son fait divers, Stendhal nous montre que ledit fait divers dissone passablement avec le cours de son roman. Mais, au fond, la vraisemblance a-t-elle vraiment autant d’importance que l’on pourrait le croire dans l’art de fictionner ? 8/10


PS : l’image provient de l’excellente propagande sociale du site

http://editionsterrenoire.blogspot.com/2008/12/propagande-sociale-7.html

Encore une preuve que si les jolies filles en maillot de bain de l’UDC ne sont bonne qu’à buzzer, par contre, celles de ses socialistes-ci poussent aussi à un certain malaise et une réflexion sur les valeurs de promotion des sociétés, depuis Sorel à aujourd’hui.


mercredi 7 septembre 2011

Petits suicides entre amis - Arto Paasilinna – 1990


Avis de Vané Fillubie

La Finlande n’est pas un vrai pays, c’est un morceau de paradis. Contrée du père noël et de l’état providence, elle est composée de gentils quartiers proprets riches et bien rangés et dirigée par des commissions citoyennes d’une probité sans faille. Enfin parait-il, car sous le vernis, la Finlande possède aussi ses clochards, ses drogués, ses terroristes fondamentalistes, ses alcooliques et ses suicidaires. Et pour ceux qui se retrouvent hors de la société, le sentiment d’exclusion et la dépression est d’autant plus grande que la société se veut parfaite. La Finlande est un paradis infernal.

Onni Rellonen, homme d’affaire finlandais s’en va se suicider. Ayant pesé calmement le pour et le contre, il cherche une grange isolée pour se tirer tranquillement une balle dans la tête, mais lorsqu’il trouve l’endroit idéal, une surprise l’attend. Le Colonel Kemppainen qui cherchait lui aussi à attenter à ses jours discrètement est déjà en train de se pendouiller à une corde accrochée à la charpente de la grange. Nos deux compères renoncent provisoirement à leur acte fatal et décide de s’associer pour créer une confrérie finlandaise des suicidaires, souhaitant organiser un immense suicide collectif afin de finir en beauté. L’histoire suit donc le voyage excentrique de tristes lurons dépressif à travers l’Europe, à la recherche du plus abrupte des précipices pour se foutre le tour en chœur.

Malheureusement, bien que le synopsis soit très attrayant, le style est assez plat, convenu et répétitif. Les rares tournures originales et bien senties sont répétés et usités jusqu’à l’usure totale, jusqu’à ce qu’elles perdent tout intérêt. Et les réflexions du narrateur sont empreintes d’un moralisme assez ennuyeux. Pour des suicidaires, ils restent très conventionnels et coincés, comme des finlandais ordinaires. Les multiples personnages n’ont d’ailleurs que peu de personnalité et de caractère, leur comportement grégaire semble plus résulter d’une paresse de l’écrivain que d’une véritable fouille psychologique. De plus, l’histoire est passablement rallongée artificiellement et n’évolue que très peu. Même l’humour noir du livre reste, malgré la force corrosive du sujet, très doux et gentil. J’ignore si l’auteur est surtout trop finlandais ou trop déprimé, mais cette œuvre est d’une fadeur des plus ennuyantes. 4/10

Battlestar Galactica – Ronald D. Moore – 2004-2009


Avis de Vané Fillubie

Les séries télévisées sont devenues plus que de simples ersatz du cinéma. De par leur longueur narrative, elles permettent de développer les habitudes de vie humaines, de créer de nouvelle codifications des mœurs. Ainsi Dr House ou Breaking Bad nous offrent une nouvelle vision des comportements humains, modifiant ce que nous percevions comme bien ou mal, influençant parfois même notre manière de vivre. D’ailleurs, depuis Dr House, toute personne n’étant pas quelquefois hautaine, désagréable ou cynique nous apparait comme un être d’une naïveté enfantine quelque peu bizarre. Les séries ne devraient donc pas être jugées sur le simple critère esthétique, mais sur leur force d’édification morale. Car si la vie imite l’art, les modes de vie de l’humanité du futur risquent fort d’être composés des idées de scenarios d’aujourd’hui. Et Battlestar Galactica est l’exemple type de la grande fable morale, mêlant les grandes décisions mettant en jeu l’humanité, avec les petites de la vie de tous les jours.

L’histoire commence par une attaque surprise des cylons, robots humanoïdes créé par l’homme qui finirent par se révolter. Et au vue de la puissance très supérieure des machines, la race humaine frôle l’extinction, seule une infime part de survivants parviennent à échapper au massacre. Ainsi nous suivons l’exode forcé d’une humanité qui tente de survivre à travers l’espace infini. Et les dangers sont grands, car en plus d’être traquée inlassablement, tous les défauts et les faiblesses de la nature humaine risquent de mettre en péril cette survie. Et de plus, les cylons, dans leur sournoiserie calculée, ont fabriqué des robots d’apparence humaine afin d’avoir des agents doubles dissimulés dans la flotte humaine. Les cylons s’aidant des défauts humains les ont d’ailleurs créés d’allure extrêmement sexy.

S’ensuit donc un virevoltant théâtre politique, avec putsch, coup d’état, terrorisme, lutte des classes, populismes, torture, dictature, démocraties et états fantoches. Les diverses mesures radicales s’appuyant sur l’argument de sécurité de l’humanité, rappelant souvent les diverses lois d’exceptions de l’administration bush pour la sécurité nationales suite au 11 septembre. Battlestar Galactica permet ainsi de voir avec perspective ces évènements de l’histoire récente en évitant toute explication manichéiste. Et en plus des pouvoirs politiques et militaires, les pouvoirs scientifiques et religieux viennent encore complexifier les rapports de puissances entre les différentes parts de l’humanité. Avec tout le lot de problèmes éthiques que cela engendre.

La lutte contre l’ennemi cylon pose aussi quelques problèmes éthiques d’ailleurs. Les robots, ces « enfoirés de toasteurs » sont considérés comme le mal absolu, pour avoir commis le génocide de l’humanité. Ils sont donc traités comme des choses dangereuses à supprimer sans aucune pitié. Mais serions-nous vraiment coupable de mal agir, si nous avions été programmés ainsi ? Et l’humanité dans son désir de vengeance, ne finira-t-elle pas par devenir aussi calculatrice, cruelle et inhumaine que les robots qu’elle a créés ? Ou les cylons, à force de vouloir se camoufler au mieux parmi les humains ne finiront-ils pas par devenir plus moral que les humains ? Car comme le fait remarquer le commandant Adama lors du premier épisode :

- Quelqu’un s’est-il déjà demandé si l’humanité méritait vraiment de survivre ?

Chaque protagoniste se voit confronté à ces nombreux dilemmes, et tente d’y apporter des solutions, parfois fortement ingénieuses et honorables, parfois lâches et stupides, souvent le tout à la fois. Car voilà la force de Battlestar Galactica, nous montrer qu’entre être un héros et un salaud, ce n’est parfois qu’une question de point de vue. Et comme l’homme est capable du meilleur comme du pire, sa survie ne dépend parfois que de petits détails apparemment insignifiants. 8/10