Ce roman nous plonge dans un univers fort contrasté. Côté jour, la cour se veut exemple de haute vertu, d’élégance et de galanterie. Côté nuit, le libertinage, l’attrait du pouvoir et les manigances secrètes prévalent. De plus dans une société d’apparence patriarcale, les femmes, de part leurs facultés relationnelles, arrivent à dicter en sous-main non seulement la codification morale des passions (cartographie du tendre), mais aussi certaines décisions politiques internationales. Ainsi, une Stasi d’honorables demoiselles surveille les moindres indices pouvant trahir un comportement suspect, tel les lettres égarées ou la concordance chromatique des accoutrements. Pour survivre les protagonistes se voient contraints de dissimuler leurs relations graveleuses jusque dans les expressions du langage courant. Ceux qui ne se haïssent point s’arrangent par un effet du double langage pour se déclarer passions et désirs sous les mots les plus anodins et les plus convenables. Toute l’énergie sexuelle qui se déverse dans ces si simples allusions leur donne l’apparence de libellules survoltées, créant ainsi une forme d’érotisme extrêmement raffinée et hypocrite. Bien que la plupart des courtisans arrivent à concilier vices et vertus, la pauvre madame de Clèves en semble incapable. Toute la surcharge émotionnelle, la tension entre le respect envers son mari et l’amour porté à Monsieur de Nemours l’empêche d’affronter la situation qui lui permettrait d’évacuer une part de son désir. En feignant la maladie elle augmente encore la passion entre elle et le duc, se poussant dans un stoïcisme bouillonnant autodestructeur et poussant le duc dans un avilissant voyeurisme et un désespoir grandissant. Elle n’arrivera a contrôler ses envies qu’en se plongeant intégralement dans l’opium austère du christianisme sacrifiant sa vie à la perfection de la vertu.
La trame sentimentale de l’histoire préfigure ce que sera Atala de Chateaubriand. Un amour rendu impossible par la morale chrétienne suivi par un désespoir adouci grâce à la mystique chrétienne. Alors que l’ambiance sournoise de la cour rappelle plutôt la série littéraire et télévisuelle « Gossip Girl ». L’importance de l’apparence et des détails, les complots, les fausses amitiés, les conflits d’amour et d’intérêts des riches midinettes de l’Upper East Side semblent tout droit hérités des mœurs versaillaises. Ainsi les époques changent, mais les méthodes et les sujets persistent.
Le style reflète fortement les sophistications de l’histoire. Tout se dit sans y paraître vraiment. Avec de surcroît, la désuétude de certaines expressions, cela rend difficilement intelligible les ramifications compliquées de l’intrigue. La ribambelle de personnages n’arrangeant rien à l’affaire. Mais ces déguisements de la vérité apportent de la grâce aux lâchetés de Madame de Clèves et magnifie les vices de la cour en une orfèvrerie de réflexions et de passions. Les vils caprices des uns et des autres deviennent les engrenages nécessaires d’une esthétique horloge. Madame de Lafayette arrive aussi avec subtilité à s’identifier profondément aux personnages tout en gardant une distanciation ironique face à leurs hypocrisies, les rendants sympathiquement pitoyables.
Ce roman dévoile bien que malgré l’apparente frivolité du monde, l’angoisse et les peurs sont en chacun de nous. La condition humaine n’épargne personne et tous cherchent l’amour ou tout du moins l’attention des autres par milles preuves insuffisantes alors que nous sommes finalement toujours seul. Ainsi que le déclarait si brillamment Nietzsche :
« Nous avons l'art pour ne pas mourir de la vérité »
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